Fawzy AL-AIEDY,
L'homme aux semelles d'Irak
par Frank Tenaille
Depuis que la géopolitique a voulu qu’il quitte l’Irak, Fawzy Al-Aiedy s’est fait le dépositaire d’un monde qui n’est plus, ou du moins, qui est enfoui sous les malheurs qui ont accablé le pays d’Aladin dont la culture a sédimenté civilisations millénaires et récits théologiques. Ainsi s’il joue de l’oud, du hautbois, s’il chante, s’il compose, il le fait toujours comptable d’une Histoire qui aurait pu être différente.
Porteur des riches imaginaires de sa région, il s’est donc fait à travers ses compositions témoin d’héritages que des actualités délétères ont occultés. Et il dut à travers ses créations, souvent primées, inventer son style. Et s’imprégnant des cultures de l’Occident et voyageant de par le monde, en précurseur du courant World Music, il a cartographié sa propre orientalité.
Son identité artistique est donc unique qui échappe aux étiquettes réductrices de « chanteur arabe », « néo-folk irakien », « jazz oriental »... Car comme sa ville natale, Bassorah, cité de tous les échanges, son œuvre sonore est un syncrétisme d’expressions artistiques, de thèmes, chants, rythmes, articulations avec la littérature, le théâtre, la philosophie, qui se jouent du temps et de l’espace.
En cela, ce caravanier musical dont le parcours est jalonné de créations comme des oasis, reste fidèle au grand Ziryab, qui, partit de Bagdad, va susciter la musique arabo-andalouse au IXe siècle et introduire le luth en Europe, et à son cher Arthur Rimbaud, « L’homme aux semelles de vent », qui pollinisera le monde de sa poésie avant de gagner le Harrar.
Frank Tenaille
Journaliste, il accompagne les musiques du monde depuis les années 70. Il a été rédacteur en chef de plusieurs journaux. Membre fondateur et ex-président de Zone Franche. Il a été directeur artistique de divers festivals dont Radio France Montpellier. Il est directeur artistique du Chantier (Centre de création des nouvelles musiques traditionnelles). Il est responsable du jury des musiques du monde à l’académie Charles-Cros depuis 1998.